Serial Dater, épisode 3

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         Sarah était partie vivre à Québec pour ses études. Sans doute avec le rêve absurde de conquérir la ville. Je me demandais la face qu’elle avait faite en découvrant que Québec restait une ville comme les autres : du béton, des chars et des touristes. That’s it.

         Selon les nouvelles, elle aspirait à devenir enseignante de français langue seconde — un rêve noble, cliché. Chaque été, elle revenait se « ressourcer » auprès de sa famille — chacun sa définition. Ses racines la ramenaient au village où elle travaillait dans un camp de vacances. Les enfants l’adoraient, ses collègues aussi. Les médias s’étaient empressés de peindre un portrait idyllique : une personne rayonnante, curieuse, sociable. Bref, pas le genre de fille à disparaître sans prévenir. La police avait multiplié les recherches, sondé les terrains, questionné des témoins. Rien d’assez solide pour permettre de tirer des conclusions.

         Sarah n’obtiendrait jamais son diplôme. Quelque chose de tragiquement inachevé dans son histoire avait laissé la communauté dans une interrogation permanente.

         Une curiosité malsaine me poussa à creuser davantage. J’étais fascinée par sa disparition, comme si comprendre son passé pouvait me protéger de subir le même sort. Son blogue, désormais figé dans le temps, regorgeait de fragments de sa vie : des selfies souriants dans des cafés de Montréal, des recommandations de romans populaires, des playlists de musique québécoise. Elle partageait aussi des photos de ses randonnées dans Charlevoix avec ses amis d'université, et même des recettes de smoothies à base de kombucha, qu’elle avait découvertes pendant un stage à Québec.  Je ne savais pas si c’était ce mélange improbable ou cette manière assumée d’aimer des choses mainstream qui me dérangeait le plus. Je roulai les yeux. En plus d’une chevelure de princesse, elle avait de l’ambition et des amis à profusion. Good for her. Peut-être que j’étais juste irritée parce qu’elle avait réussi là où moi, je stagnais : une existence bien remplie, des amitiés solides, un chemin clair.

         Rien n’indiquait les raisons de sa disparition. À l’exception, peut-être, de son goût pour l’aventure, pour la liberté. Rien de plus qu’une fille ordinaire avec une vie ordinaire.

         Moi aussi, j’étais ordinaire.

         Elle souriait en coin sur ses photos. Un sourire insoumis, frivole, qui n’appartenait à rien ni personne. On se ressemblait.

         Je m’arrêtai sur le cliché d’un party au bord d’un lac : Sarah, surexposée par le flash, grimaçait en tirant la langue, affichant un signe de peace. En arrière-plan, sur le quai baigné par la lueur de la lune, un gars aux allures de skater. Ses cheveux se retroussaient sous sa casquette et ses Vans noires s’assortissaient à ses yeux de charbon.

         Mathieu.

         Il s’agissait plus que d'un flirt en ligne : ils se connaissaient, se voyaient. Une vague d’empathie m’envahit pour lui, qui avait dû perdre une amie — ou une copine. Leur attitude sur la photo criait la naïveté, l'inconscience du drame à venir. J’aurais aimé pouvoir retourner en arrière et laisser un commentaire sous la photo pour les prévenir. M’auraient-ils écoutée? M’auraient-ils demandé de me mêler de mes affaires et de retourner à ma vie de loser?

         Soudain, l’air climatisé s’arrêta net. Son grondement s’évanouit dans l’écho de la maison vide, laissant place à un silence oppressant.

         Puis, des coups frappés à la porte. Trois coups faibles, presque imperceptibles, mais suffisants pour faire naître un frisson sur ma nuque.

Texte: ptitetannante

Illustrations: Marilou Lavallée

Prochain épisode : on ne réagit pas toujours correctement en cas d'urgence.