Serial Dater, épisode 4

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         Cette fois, je n’avais pas commandé de pizza.

         Ignorer. Ignorer était souvent la meilleure solution. La méthode la plus efficace pour dissiper ses problèmes, les dates maladroites, les silences gênants. Ceux qui prétendaient le contraire manquaient simplement de détermination.

         Un bruit sourd me fit bondir de ma chaise.

         Quelqu’un était dans la maison.

         L’adrénaline afflua sous ma peau comme un frisson glacé. J’éteignis aussitôt les lumières de ma chambre pour me fondre dans la noirceur du sous-sol, me faire oublier, disparaître. Un instinct stupide, puisque celles allumées au rez-de-chaussée trahissaient déjà ma présence.

         « Ah, merde ! »

         « Émilie ? » Ma voix fendit le silence tandis que je montais les escaliers en trombe.

         Penchée pour ramasser son téléphone portable, elle releva la tête, un sourire coupable aux lèvres. Une ombre de remords passa dans ses yeux lorsqu’elle vit la peur sur mon visage et elle se mit à débiter une série d’excuses. 

         « J’ai cogné, mais c’était long. Je me suis dit que tu n’avais pas entendu. » Sans gêne, mon amie se débarrassa de ses chaussures et prit ses aises, avec l’intention de rester ici un bon moment. « Pis vous laissez toujours la porte arrière déverrouillée, fait que… »

         J’accrochai son coton ouaté au dossier de la chaise de cuisine et lui demandai, à la blague, si elle avait aperçu des coyotes dans la cour lors de son intrusion. Son rire, léger et enveloppant, redonna un peu de chaleur à cette maison qui me paraissait figée dans l’absence depuis trop longtemps. Elle passa une main dans ses cheveux souples et élégants, qui retombèrent ensuite pour effleurer sa mâchoire, tel un flot d’encre noire.

         « Pas de coyotes, mais tes poubelles débordent. Tu vas finir par attirer des ratons laveurs. » Son regard survola la salle à manger en désordre, s’arrêtant sur les mouches à fruits qui flottaient au-dessus des boîtes de pizza empilées. « Ce n’était pas ce soir que je devais venir chercher le cadeau pour mon frère ? »  Elle échappa un soupir, plus navrée qu’exaspérée.

         J’étais tellement préoccupée par ma série de dates que j’en avais oublié la seule tâche inscrite à ma to-do list. Même les mouches à fruits me jugeaient. Honteuse, je lui tendis un jeu PC : une copie d’une édition limitée d’un des projets sur lesquels ma mère avait travaillé. Elle examina le boîtier sous tous ses angles, comme pour essayer de trouver ce qui pouvait s’y cacher d’intéressant.

         « J’ai un rendez-vous avec Mathieu, mercredi. » La bouche de mon amie s’agrandit d’excitation, comme au jour où je lui avais annoncé la sortie du prochain album de Britney Spears. Ma vie amoureuse était devenue sa nouvelle sitcom préférée, celle qui comblait encore le vide laissé par la finale de Friends, quatre ans auparavant.

         Parfois, je me surprenais à rêver d’un Central Perk à moi. De longs rendez-vous dans des cafés, d’un groupe à qui me confier, d’une routine partagée. Peut-être que Mathieu pouvait être mon Chandler. Un homme loyal, romantique et rassurant, qui me donnerait envie de me poser.

         Mais je doutais qu’un gars comme Chandler puisse s’intéresser à quelqu’un comme moi.

         Il choisirait plutôt une Monica : une femme qui avançait avec assurance, qui n’attendait pas qu’on lui fasse de la place parce que l’espace s’organisait naturellement autour d’elle. Même son appartement semblait exercer une force magnétique. Un lieu réconfortant où chacun trouvait un bout de quelque chose qui le complétait et lui appartenait.

         Un gars comme Chandler s’intéresserait à une fille comme Sarah.

         Sarah, qui donnait l’impression de n’avoir jamais douté de sa place dans l’univers. Et c’était précisément la raison pour laquelle sa disparition sonnait faux, comme si une note dissonante avait brisé l’harmonie d’une mélodie parfaite.

         « T’sais, la fille qui a disparu… Sarah ? »

         Émilie inclina la tête, plissant les yeux, cherchant à deviner où je voulais en venir.

         « Mathieu et elle se connaissaient. »        

         Son expression passa de l’intrigue à l’étonnement. « Est-ce qu’il sait ce qui lui est arrivé ? » Je haussai les épaules. « T’es pas curieuse de savoir ? » Bien sûr que je voulais savoir. Tout le village voulait savoir.

         Émilie me lança un regard de défi. Rien ne pouvait s’interposer entre elle et ses questions. Pas étonnant qu’elle obtienne d’aussi bons résultats à l’école. Elle rangea le boîtier du jeu dans son sac, puis, d’un pas déterminé, me conduit jusqu’à ma chambre et prit place devant l’écran d’ordinateur. Je venais d’activer son stalking mode.

         « C’est le temps d’aller chercher des réponses. »

Texte: ptitetannante

Illustrations: Marilou Lavallée

Prochain épisode : on suit la piste numérique.