ptitetannante
Lumière et ténèbres
Mise en garde (trigger warning): cruauté envers un animal
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T’étais cute dans ta robe, hier. Le noir te va vraiment bien.
On aurait dit que tu voulais attirer l’attention ? 😉
Rien de tel qu’un message privé d’un stalker anonyme pour bien commencer la journée. L’écran bleuté de l’ordinateur révélait un compte Skyblog vide, un pseudonyme généré au hasard, sans photo de profil. Je lui répondis : « On se connaît ? » mais aucune réplique.
On aurait dit que tu voulais attirer l’attention.
Les mots résonnaient comme une corde de guitare mal accordée. Cette personne m’observait et savourait ma réaction. Mes doigts se serrèrent sur ma tasse de café. La colère s’infiltrait sous ma peau, vive et aiguisée. Un autre homme convaincu que la Terre — ou ma robe — gravitait autour de lui.
Le doute s’installa : cela avait-il un lien avec Sarah ? Je mettais peut-être mon nez là où il ne fallait pas. Je finis mon café d’une traite et enfilai mon manteau.
Pas question de devenir la proie. C’est moi qui allais suivre la piste.
***
« Émilie n’est pas là »
Andrew me fixait depuis l’embrasure. Un toupet bouclé s’échappait de sa capuche remontée sur sa tête. Quelques poils épars recouvraient son visage, une baby face pour son âge.
« Je sais. C’est toi que je viens voir. » Ses sourcils se froncèrent aussitôt, comme si je venais de lui confesser que je tripais sur le country. Le frère d’Émilie détenait les réponses que je cherchais et je refusais d’inquiéter Émilie avec mes problèmes. « Ça va prendre du temps, je ne pense pas que tu veux avoir cette discussion-là dans le cadre de porte. »
Son visage bascula de l’étonnement au déclic, puis il me laissa entrer. J’avais passé assez d’heures ici, entre les devoirs et les soupers en famille, pour que ses parents ajoutent une cinquième chaise à la table. « As-tu aimé le jeu qu’Émilie est venue chercher l’autre jour ? » balançai-je pour faire la conversation avant d’attaquer le vrai sujet.
« Pas pire. Les mécaniques sont solides, mais je n’ai pas accroché aux personnages. Je l’ai quand même fini en deux soirs. »
Of course qu’il n’avait pas cliqué avec eux. Ma mère avait pondu le scénario : des protagonistes rigides, verrouillés de l’intérieur, incapables de plier sans casser. Pour elle, la vulnérabilité passait pour une faille et ça se ressentait. « Dans le fond, j’ai reçu un message weird sur Skyblog », continuai-je en jouant avec mes piercings. « Je ne sais pas c’est qui. Mais justement… je me demandais si tu pouvais m’aider. »
Andrew expira, comme s’il mesurait l’ampleur de la tâche. « Je peux checker ça. »
La chambre d’Andrew sentait les Doritos et le déodorant aux effluves de citron et de bois. C’était peut-être l’odeur naturelle d’un finissant en génie. Celle des efforts de quelqu’un qui avait quelque chose à prouver. On avait ça en commun.
Andrew s’installa devant son ordi et m’invita à me connecter. Je me penchai par-dessus lui pour taper mes infos. Il se crispa et détourna les yeux vers le sol. Je pointai le dernier message du stalker — un frisson me traversa.
« Y’a vraiment des gens weird » dit-il. « Pourquoi il t’a écrit ça ? » J’haussai les épaules, lui expliquant l’histoire, de la photo du lac à la relation entre Sarah et Mathieu. Il se mit à ronger l’ongle de son pouce à la mention de ma date d’hier. « Je ne savais même pas qu’ils avaient daté. Sarah revenait chaque été au village, flirtait à gauche et à droite, fêtait au lac. Personne ne savait qu’elle était avec Mathieu. Elle ne semblait pas du genre à s’engager, mettons. »
« Tu y allais, aux partys ? »
« LOL, non. J’ai mieux à faire. » Je levai les yeux sur sa bibliothèque remplie de jeux vidéo. Clairement. « Je ne sais pas, I guess qu’elle a eu son fun avec Mat pis qu’elle s’est tannée. On ne parle pas vraiment de ces choses-là ensemble. À part le gaming, on n’a pas grand-chose en commun. » Il cliqua sur quelques fenêtres, puis m’expliqua sa démarche : « Dans le fond, chaque message qui passe par Internet laisse une trace, un peu comme une empreinte digitale. »
« Donc, on pourrait trouver ça vient de qui ? »
« Non » me corrigea-t-il, « Mais c’est un pas de plus pour le savoir. Faudrait que la personne clique sur un lien que je contrôle pour que je puisse logguer son IP. » Il se tourna vers moi : « Tu vas avoir à l'attirer. »
***
Le soleil descendait tranquillement à l’horizon, peignant le ciel de tracés orange et roses. Même la forêt derrière la maison paraissait plus accueillante sous les reflets dorés de la lumière. Après ma visite chez Andrew, les paroles de Best of me prirent soudainement du sens. Une relation non exclusive qui avait viré amère. Sarah regrettait de ne pas s’être engagée, souhaitait recommencer, oublier les fêtes, le flirt. Mais il était trop tard : Mathieu s’était fait briser le cœur.
En arrivant chez moi, j’aperçus quelque chose sur le pas de la porte. D’abord, je crus à un colis pour ma mère. Puis, je compris. Une flaque de sang marquait le bloc de béton à l’entrée.
Un chat.
Mort.
Ses entrailles étaient exposées au soleil. Il ne s’était pas fait frapper.
Il avait été déposé là pour moi. Offert.
Texte: ptitetannante
Illustrations: Marilou Lavallée
Prochain épisode: Florence part à la pêche.